Par Vibaul Kol – Publié le 25/06/2020
Pour quelles raisons aimons-nous tant le sucre ? L’addiction au sucre est-elle réelle ? Peut-on qualifier le sucre de drogue ? En plongeant dans les méandres de notre cerveau nous allons essayer de comprendre pourquoi l’attrait pour cette poudre blanche est si fort.
D’un point de vue de l’évolution, notre appétence pour le sucre a représenté un véritable avantage pour la survie de notre espèce. Pour comprendre cela, revenons sur quelques aspects du fonctionnement de notre cerveau et tout particulièrement sur le circuit de récompense.
Le circuit de la récompense est un système complexe faisant intervenir plusieurs aires du cerveau (aire tegmentale ventrale, amygdale, noyaux accumbens, septum, cortex préfrontal, hypothalamus). Les neurones principalement impliqués dans le circuit de récompense sont des neurones à dopamine, neuromédiateur associé à la motivation et au désir, raison pour laquelle on réduit souvent ce circuit à celui du plaisir (circuit hédonique) (Koekkoek, 2017).
Ce système de récompense est présent chez la plupart des vertébrés et s’active à la suite de comportements favorables à la survie comme manger, boire ou se reproduire. Ces stimuli provoquent la libération de dopamine dans différentes zones du cerveau, provoquant une sensation de plaisir et de bien-être. Cette expérience agréable est alors mémorisée ce qui favorise le renouvellement du comportement (Lustig, 2019).
S’alimenter (acte de survie) stimule donc le circuit de récompense (sensation de plaisir). Cette satisfaction (libération de dopamine) est encore plus importante lorsque l’on mange des aliments sucrés (vous comme moi, je pense, avons plus de plaisir à manger un éclair au chocolat que du brocoli !).
Cette préférence innée pour le sucre fut un atout pour notre ancêtre du Paléolithique. A cette période, la disponibilité en nourriture n’était pas celle que nous avons aujourd’hui. Imaginez-vous quelques instants à la place de notre ancêtre préhistorique. Vous vous baladez dans la forêt en quête de nourriture. La faim vous tiraille car vous n’avez probablement pas mangé depuis plus de 16 heures (petit clin d’œil aux pratiquants de jeûne intermittent !). Vous découvrez par hasard un buisson avec ses baies rouges que vous n’aviez jamais vues auparavant. Vous goûtez l’une d’entre elles : elles sont délicieuses (activation du circuit de récompense). Vous dévorez toutes ces baies à l’exception de certaines, légèrement vertes (moins mâtures) que vous avez vite délaissées car elles n’excitaient pas autant vos papilles que les rouges écarlates. Content et repu, cette expérience est maintenant « imprimée » dans votre cerveau : vous reconnaîtrez à coup sûr ces petites baies la prochaine fois qu’elles seront sur votre chemin.
Revenons maintenant à notre époque et remplacez ces succulentes baies par n’importe quelle gourmandise qui se trouve dans vos placards. Quelle fut votre réaction lorsque vous vous êtes rendu compte que vous aviez englouti la moitié de votre paquet de gâteaux ou de votre tablette de chocolat ? Avouez-le, cela vous est déjà arrivé plus fois d’une fois ! Cependant à l’opposé de notre ancêtre Paléo, vous avez sûrement ressenti plus de regrets que de satisfaction après votre acte. Ne culpabilisez plus à présent car vous savez qui est le responsable : le circuit de récompense. L’industrie agroalimentaire a compris son fonctionnement depuis bien longtemps. C’est la raison pour laquelle vous trouvez autant de sucre dans la plupart des produits ultra-transformés. Ajoutez-y du gras et du sel et la gratification sera encore plus importante (Sisson, 2019).
Notre cerveau a donc été programmé pour aimer le sucre. Dans la nature, le goût sucré (et le gras) indique des aliments à haute valeur énergétique (l’amertume signale plutôt des aliments non consommables voire toxiques). Dans un environnement où la moindre des calories est précieuse pour la survie, le comportement décrit chez notre ancêtre préhistorique était assurément salvateur.
Cette attirance pour la saveur sucrée est présente bien avant la naissance. Dès le 4e mois de grossesse, l’embryon y est déjà sensible. De récentes études suggèrent que l’ingestion de sucre par la future maman serait même susceptible de le faire sourire. A la naissance, le nouveau-né n’accepte que du lait qui contient naturellement des sucres ou une solution sucrée, et rejette les aliments aux goûts acide et amère.
Notre préférence innée pour le sucre s’est ainsi développée au cours de l’évolution via le circuit de récompense favorisant la survie de notre espèce. Cette prédisposition a été un avantage adaptatif certain pour nos ancêtres. Mais aujourd’hui ce penchant naturel pour le sucre peut poser un véritable problème pour notre santé : compulsions alimentaires sucrées, surpoids, obésité et diabète de type 2. Selon certaines études scientifiques, le sucre pourrait même être apparenté à une drogue aux vues de l’addiction qu’il provoque chez certaines personnes (Gordon, 2018) (lire l’article : L’Addiction au Sucre Existe-t-Elle ?).
Koekkoek LL, Mul JD, la Fleur SE. Glucose-Sensing in the Reward System. Front Neurosci. 2017;11:716.
Lustig, Robert (2019). Sucre, l’Amère Vérité: Thierry Soucar, 2012.
Sisson, Mark (2019). Le Modèle Paélo. Vergèze: Thierry Souccar, 2012.
Gordon EL, Ariel-Donges AH, Bauman V, Merlo LJ. What Is the Evidence for « Food Addiction? » A Systematic Review. Nutrients. 2018;10(4):477.